MICHEL PARRE : LE BONHEUR ET LA CHAIR

 

par Gilles de Staal. Article paru dans l’Humanité, en 1999, à propos de l’exposition de Michel Parré au Musée de l’érotisme de Paris.

 

 Vous débouchez de l’escalier et le premier tableau, face à vous, vous saisit littéralement. On dirait des dieux, ou des ribauds, mais pour le peintre, c’est manifestement la même chose. Très au-delà de l’outrance, Michel Parré donne à voir la monstruosité humaine, dans le sens de l’outrage, du blasphème.  Le vrai blasphème, celui qui fait de femmes et d’hommes, des dieux, par la démesure de la chair.

Michel Parré peint comme on sculpte les blocs, avec une force, une vigueur massive peu commune aujourd’hui. Le trait, souligné, est sur, comme un coup de masse. La pâte brossée sans reprise donne au corps le mouvement souverain qui habite la toile au point d’en vouloir sortir, comme un geste véhément qui fait sauter les cadres. C’est la peinture quand elle atteint son but ultime: on ne la discute pas, on la reçoit. En plein corps.

« Le problème du sexe m’a toujours paru un problème progressiste.  Un terrain de lutte. Enorme. Complètement évident » disait Michel Parré. Les corps, les seins, les sexes, déformés, mutilés, monstrueux, jubilatoires et pathétiques, qui débordent en excroissances incongrues de la toile ne sont plus alors vraiment le sujet du tableau mais sa voix: « Arriver à changer quelque chose dans la vision des gens, dans leur état d’esprit. Il ne s’agit pas de changer le point de vue des gens sur le sexe, il s’agit de changer leur point de vue sur tout il s’agit de les changer eux. Si tu arrives à changer le point de vue de quelqu’un sur le sexe, tu le changes complètement… » confiait-il encore à son ami, l’écrivain Jacques Vallet.

Donc, non pas un discours sur la peinture, mais un discours avec la peinture. Non pas un discours sur le sexe, mais un discours avec le sexe. Un discours sans concession, qui fit scandale tout au long de sa vie et que l’exposition du Musée de l’Erotisme nous permet de «voir».

Discours contre l’ordre établi, contre toutes les bien-pensances, contre le patriotisme imbécile, la religion, la délation... Il peint «Mamelles de la France», un cardinal de Richelieu qui descend sa robe pourpre sous les épaules, découvrant une paire de beaux nichons pesants; il peint aussi «Les oreilles ennemies», une blonde Alsacienne dont la coiffe se confond avec les oreilles.

Il peint surtout les métamorphoses du corps et du désir, avec  la conviction farouche, contre vents et marées, que « l’utopie.. le monde du bonheur doit exister. »

Né en 1938, initié à la peinture par Kikoïne, ami de Topor depuis le lycée, se retrouvant dans la filiation du dadaïsme, c’est tout naturellement qu’il fait partie, à la fin des années soixante, du mouvement de la Jeune Peinture. Rompant dans la violence avec «l’art officiel» soporifique de l’exposition Pompidou, il fonde avec Henri Cueco, Lucien Fleury, Jean Claude Latil et son ami Gerard Tisserand, la Coopérative des Malassis, en 1970, pour maintenir l’esprit de résistance et d’action de 1968. C’est dans le même mouvement qu’il participe, avec son vieux copain Roland Topor, au groupe Panique ainsi qu’à la revue de Jacques Vallet «Le Fou parle» (1977-1984).

Engagé politiquement dans toute son oeuvre et dans toute son aspiration d’artiste, « parce que ça donnait un rebond complet à ma vie. Sans ce rebond, on n’a plus que des petits bonheurs personnels, des petites histoires... », libertaire dans sa fibre,

Michel Parré sera toute sa vie militant communiste, envers et malgré «tout»: « Je n’ai jamais compris l’espèce de haine farouche qu’il y a entre les anars et les cocos. J’ai toujours pensé que la porte de sortie (il rit du mot), l’avenir communiste, ne pouvait être que libertaire. C’est là qu’est la définition même du monde

du bonheur! »

 Le monde du bonheur, c’est peut être, par anti-thèse, avec ses «anamorphoses» qu’il se donne à voir dans son oeuvre. Une image mouvante, insaisissable, qui échappe sans cesse au regard, qui se reflète dans des miroirs coniques ou cylindriques montés au centre du tableau, et reconstitue l’unité des corps disloqués et déformés peints sur la surface de la toile. Représentation, au sens propre du terme, énigmatique d’un tableau qui semble se diluer dans son centre pour retrouver son unité, fugace...  comme le point d’équilibre impossible du bonheur. Purs chefs d’œuvres d’invention et de délicatesse; parmi une vingtaine de toiles importante, l’exposition en présente quatre, notamment «Pourtant elle tourne» qui vaut qu’on s’y arrète.

Relativement peu exposé eut égard à son importance sans doute à cause de cette outrageante véhémence mais aussi d’une certaine timidité personnelle, Michel Parré est mort à 60 ans, le 15 décembre dernier, alors que se préparait cette exposition du Musée de l’Erotisme. Elle se fait donc, sans lui, et dure jusqu’à la mi novembre. Ce serait dommage de la rater.

Ajoutons que pour le premier anniversaire de sa disparition, les éditions Carte Blanche, qui ont contribué à cette exposition, prévoient de publier sous le titre, que voulait Michel Parré, - « Peinture injure » -, les entretiens du peintre avec Jacques Vallet où il s’exprime sur cette oeuvre volontairement provocatrice et sa préoccupation éthique. Le livre sera bien sur accompagné de nombreuses reproductions en couleur.

 

                                                                                                                

                                                                                                             Gilles de Staal

 

 

 

 

 

 

…Et Dubout aussi :

Comme un bonheur ne vient jamais seul dans ce surprenant mais remarquable Musée de l’Erotisme, vous pourrez y voir, pour la même durée et un étage en dessous, une autre exposition rare:

500 dessins originaux de Albert Dubout, peut être le plus populaire truculent, drolatique, impertinent, cruel, délicat et prolifique déssinateur-illustrateur de ce siècle.

Dubout a 24 ans en 1929, quand il illustre son premier livre, «Les embarras de Paris» de Philippe Soupault, et quand il meurt, en 1976, la liste des grands de la littérature qui ont eut droit à la faconde de son trait est renversante: François Villon, Erasme, Rabelais, leKama Soutra, Molière, Voltaire, Beaumarchais, Balzac, Mérimée, Courteline, Jules Renard, Pagnol,... jusqu’à San Antonio (1 million d’exemplaires vendus en 1964 de leur «Histoire de France» !). Mais il y a aussi, le Code des Impôts, le Code de la route... !

Sans respect pour rien qui soit respectable, Dubout était sûrement le plus doux des hommes, et le plus caustique des observateurs de son temps. Ses petits moustachus étriqués perdus dans les nichons gigantesques de bobonnes tyranniques et maternelles, ses familles teuf-teuf aux chambres à air éreintées, ses multitudes franchouillardes fleurant bon le pinard et les chaussettes rayées ont animé le regard des générations de l’avant guerre, de l’après guerre, et de l’après après... L’exposition nous révèle des cotés plus impitoyables encore sur les bons bourgeois en col à bouffer de la tarte et en fixe-chaussettes. A ne pas rater non plus, sinon vous ne pourrez le voir que dans son musée de Pallavas les Flots.

Le reste du Musée, si vous ne connaissez pas, vaut largement

la visite... pour les après midi ou soirées de chaleurs

(Musée de l’Erotisme, 72 Bd de Clichy - Paris 18ème. Métro Blanche.  Exposition jusqu’au 15 novembre. Entrée 40F (réduc 30F) valable pour tout le musée.)

G. S.